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Le méconnu gardien qui sommeille quelque part en chacun de nous

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  Mystérieux, peu connu, régnant autrefois sur l’Italie, dieu presque entièrement romain, Janus cache dans le creux de ses mains l’objet invisible conceptualisé par l’humain. L’objet de toutes les convoitises, des peurs, des déchirures, des joies et des ruptures. Dans sa main gauche, Janus cache le nombre 300 et dans la droite, 65, correspondant aux jours de l’année. Gardien des clefs, seule personne qui meut ses doigts avec aisance dans le trousseau muet, il veille sur les portes le petit janitor, seuil sacré des hommes qui, chaque matin avec foi, conviction et repentance, claque rapidement. Oui, ces portes dont nos mains, chaque jour, franchissent le seuil et dont nos pieds frottent leurs écueils sur le paillasson qui se sent seul. Oui, ces portes protégées, comme dans le pays des step[pe]s par une petite butée, lieux sacrés qu’il ne faut pas heurter, comme vous le savez !  Oui, ces portes, immenses et larges, taillées et sculptées signes de richesse, pouvoir et prospérité. Et, oui, et surtout ces portes symboliques entre l’ombre et la lumière, entre le début et la fin, entre un monde et l’inconnu, entre cette vie que vous brusquez tous les matins et cette mort qui un soir vous bouclera à clé dans ses bras de Morphée, alors séquestré dans les Enfers où Hadès, frère de Zeus et de Poséidon, avec son épouse Perséphone, règne en maître.

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Janus en tous sens,  un port de symbolisme

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    Voilà ce qu’est Janus,  le dieu des dieux,  celui du temps,  des portes du commencement et de la fin.  Qualifié de « Janus pater », il est un « deus deorum », (dieu père, fondateur du monde) au même titre que Jupiter (bien que maître de tous les dieux, du ciel et de la terre), et Mars (dieu de la guerre, fils du dernier et de Junon). Janus est alors celui qui « préside à tout ce qui commence », là où Jupiter préside « à tout ce qui culmine ».  Dieu clairvoyant que Horace prie, en ces mots, en tant que pendant masculin de Mater Matuta, la mère du matin :

 

« Ô père du matin, Janus (peut-être ce nom-là te plaît-il davantage), toi que chaque homme, à son réveil, invoque, avant la tâche quotidienne ».  

 

Alors, maintenant, quand le réveil sonne, tâchez d’y penser !  Chose que Georges Dumézil n’a pas dû oublier. Ce linguiste, historien des religions et anthropologue français du XXème siècle, dont Janus a porté les fruits de l’apparente longévité, voit en ce dieu une divinité solaire :

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russe et bien d’autres, alors souriez ! ). Janus serait, à ce titre, un dieu abstrait du temps, équivalent théologico-mythologique du Chronos grec. D’autres encore soutiennent une troisième hypothèse, comme Nigidius Figulus, encore un  savant perdu  dans les nœuds de l’histoire  :   Janus serait un  être dual,équivalent à la fois de Diane et de l'Apollon romain. Il est peut-être aussi vu comme une tension entre un art fini, éternité, et une consommation de l’instant, mort constante. Alors Janus ne pourrait-il pas être vu comme une double force contraire où, au centre, naîtrait l’art ? Nietzsche suggérait déjà cette contradiction fertile :

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« L’entier développement de l’art est lié à la dualité de l’apollinien et du dionysiaque ».

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Une veine-née-ration inscrite dans l’ADN  humain

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   Premier nommé dans toute la liste des dieux avant même Jupiter, Janus se fait aussi prier le 30 mars, fin du mois de la guerre, principale activité des hommes. Car, oui, Janus est aussi l’acteur principal de guerres et paix. Au cours des guerres, les portes du temple qui lui est consacré sont ouvertes, et  des sacrifices et des oracles ont lieu à l'intérieur pour prévoir l'issue des combats. En temps de paix, les portes restent fermées, un événement extrêmement rare : rapporté seulement trois fois dans l’histoire  des Romains, société de nature, quelque peu …belliqueuse.

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   Temps qui passe n’empêchant pas la conservation de temples, le plus ancien se trouve à Rome près du forum romain, la place publique où les affaires allaient bon train. Il était orienté d’est en ouest soit du levant au couchant. Deux portes donnaient accès à ce temple, entre lesquelles s’élevait une statue de Janus, pétrifié entre l’âge juvénile et l’âge qui n’est plus si agile.

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   Disparu depuis, au-delà de la porte du Janicule, colline qui encore porte les traces de Janus et en dehors des murs de Rome, s’élevaient douze autels à Janus, un pour chaque mois de l'année. Aussi, des arches à quatre faces, érigées aux entrées des villes, lui servaient de sanctuaires.

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  Si l’envie - pressante à la fin de cette explication - vous prend, vous pouvez vous rendre sans franchir maintes frontières au temple, datant de l'époque gallo-romaine, de Janus à Autun, ville de Saône et Loire où l’ébullition créée par 15 001 habitants a fait  date ! Par ailleurs, sachez, avant de partir, qu’il est incertain qu'il soit dédié à ce dieu, les informations recueillies lors des fouilles archéologiques ne permettant pas de l’affirmer avec certitude. Les recherches se poursuivent. 

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Janus , port-êtres, une ombre de vie à la fenêtre, saisis !

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  Janus est ce double visage, la représentation du seuil  à forte symbolique dans l’Antiquité.  Il  est  ce « deus deorum » en chacun de nous, qui sent le temps peu à peu s’écouler. Peut-être parfois nous met-il en garde ? Dans une société où tout est conquête, il pose la question de ses motivations ;  peut-être que la plus grande victoire consiste à comprendre que rien n’est à gagner, que tout est à saisir.

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« Vivre est une chanson dont mourir est le refrain », disait Victor Hugo.

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   Janus, quand j’y pense, c’est un peu ce vent qui s’engouffre dans les maisons et fait jouer les poignées au lieu des baisers de bonne année. A Rome, ce mois de Janvier, mot qui lui est associé, est la période où l’on fête avec gaité : les Januales. Lors de cette fête, une offrande lui est offerte, un gâteau appelé le Janua dont la recette s’est perdue, mais on a pu soupçonner un mélange à base de froment et de sel. Pour autant, je peux vous donner une idée : prenez un vieux reste de gâteau et collez-le fortement avec une mousse de jeunesse, point encore fondue et vous obtiendrez un résultat similaire. Moitié passé moitié futur, c’est un quatre-quarts, en fait ! Rien de compliqué. Et dire qu’après, ce gâteau « minute facile » est d’inspiration divine, le pain béni des poètes qui oscillent entre les houles de la mélancolie et les lueurs de leurs futures vies. 

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Rituel  révélateur de la conception humaine  du temps. Triste or-loge !

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« En se levant, il ouvre le jour, en se couchant, il le clôt ».

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   Son étymologie, révèle sa nature, qui a, à vos yeux, été encore cachée. Les uns, comme Ovide et Cicéron, pensent que  Janus viendrait du verbe latin eo (« aller »), et plus précisément du participe présent iens (« allant ») : le mot répondrait bien au concept de « passage ». Il est généralement honoré comme un dieu introducteur. Pour d’autres, à l'instar du linguiste Julius Pokorny, le Ianus latin correspond à l’allemand Jahr, à l’anglais year (« année ») et au grec á½¥ρα, hôra (« heure »), (je vous ai épargné le chinois, le biélo -

Janus nous rappelle cet air sans fin. Si l’air se coupe, une ère nouvelle se lève, alors regardez chaque jour le soir dans l’aurore et l’aurore dans le soir. Saisissez le moment opportun, attrapez le kairos, avant que sa tête de beau gosse ne finisse en vieux Eros (C’est très moche si vous n’avez jamais vu !). Atteignez l’ataraxie, cette  paix de l’âme. Par-delà les galaxies, libérez-vous, représentez le Nirvana car, si l'on en croit Maître Sekito (sage chinois du VIIIème siècle) :

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« Même si le lieu de méditation est exigu, il renferme l’univers.

Même si notre esprit est petit, il est illimité. » 

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   Toujours, rappelez-vous :              « Arx Tarpeia Capitoli proxima »

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   N’oubliez pas que la porte de la sagesse et de la grandeur de votre humanité n’est immense que parce qu’elle se sait portillon.

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   En somme, Janus c’est un décodeur de vie, c’est la vie elle-même, la pure, remplie de ces symboles en forêts, de ces croyances diverses en vallées, de ces maintes histoires à se coucher tard le soir et de ces chemins de traverse que Janus, illusion de verre ou être véritable, emporte dans son cartable, déjà linceul, reposant dans le sable.

Crédits imgs Antoine Adonaï

Article signé : Col'air sensible,

alias antoine H.

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Publié le 16/07/2020 © Esprits Auth'Antiques

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Pour en savoir plus sur l'auteur de cet article :

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Illustrations :
 
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Rues de Berlin -Photographies réalisées par l'auteur de l'article​

Horloge -
Musée d'Orsay,
ancienne gare de Paris -
Photographie réalisée par Kinder

En fond :
 
Une porte franchie parmi les vestiges de Mystra, lors de notre voyage Grèce en février 2019 -
Photographie réalisée par l'auteur de l'article​
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